Abbas Maghami, chercheur en diplomatie publique
Aujourd’hui, le champ de bataille moderne ne se limite plus aux territoires physiques ni aux armements. Le résultat de la guerre se détermine tout autant dans le domaine des récits et des médias que sur le terrain militaire. L’image, la mise en récit des événements et la construction narrative peuvent modifier les équilibres mêmes d’un conflit – et c’est exactement ce qui s’est produit lors de la guerre imposée à l’Iran par le régime sioniste.
Dans ce conflit complexe et à plusieurs niveaux, ce qui a transformé l’Iran d’une simple force réactive en un acteur façonnant le récit, c’est le rôle décisif du Guide suprême de la Révolution islamique dans la conception et la direction de la narration de la crise. Ce récit a non seulement légitimé la réponse de l’Iran sur le terrain, mais il a également réussi à remodeler la perception publique mondiale d’Israël.
Façonner le récit dès les premières heures de la crise
Dans les premières heures suivant les attaques du régime sioniste, l’Imam Khamenei, par une position rapide et sans ambiguïté, a tracé le récit officiel de la République islamique. Dans son premier message télévisé, il a condamné sans équivoque le ciblage des zones résidentielles et le martyre des commandants et scientifiques iraniens comme un « crime grave », et a promis une « punition sévère » au régime sioniste.
Dans sa seconde allocution télévisée, il a souligné que l’attaque israélienne avait eu lieu à un moment où l’Iran était engagé dans des négociations indirectes sur son programme nucléaire – insistant sur le fait que c’est Israël qui avait initié la guerre. Il déclara : « l'agression stupide et malveillante du régime sioniste contre notre pays — s'est produit alors que les responsables gouvernementaux négociaient indirectement avec les Américains ; il n'y avait rien qui indiquait une action militaire ou une réaction violente de la part de l'Iran. Bien sûr, il avait été soupçonné depuis le début que cette action malveillante du régime sioniste était soutenue par les États-Unis ; mais avec les récentes déclarations qu'ils font, ce soupçon se renforce chaque jour. »
Ainsi, il a décrit le déclenchement de la guerre comme un acte illégitime, dépourvu de justification légale ou morale. Du point de vue du Guide suprême de l’Iran, ce qu’Israël a tenté à travers sa narration médiatique, c’est de déformer la réalité et de promouvoir l’idée selon laquelle l’Iran était sur le point de devenir une puissance nucléaire, et qu’Israël, par une frappe préventive, avait « sauvé le monde ». Ce récit cherchait à détourner le discours de la responsabilité vers l’héroïsme, présentant Israël comme un sauveur mondial plutôt que comme un agresseur.
En réponse, l’Imam Khamenei a décrit la position de l’Iran à travers deux concepts clés : une réponse « décisive » et « légale ». Cette manière de présenter les faits a renforcé l’image d’une posture responsable et légitime de l’Iran tout en dépeignant Israël comme l’instigateur principal de la crise.
Commandement simultané sur les plans militaire et non militaire
Un élément clé de cette confrontation a été l’intégration du commandement sur le terrain avec le leadership social. L’Imam Khamenei n’est pas seulement apparu comme un haut commandant militaire – il a aussi joué le rôle de concepteur du récit de crise et de sa mise en forme publique. En dirigeant simultanément le champ de bataille et en jouant un rôle actif sur le front médiatique, il a réussi – malgré les efforts des médias occidentaux – à démontrer que l’Iran n’était pas un agresseur, mais une puissance rationnelle et dissuasive.
Cette représentation a eu un impact tangible sur l’opinion publique mondiale et a modifié le ton de l’analyse médiatique internationale. Des médias qui auparavant décrivaient l’Iran comme un acteur imprévisible ou déstabilisateur ont été contraints de reconnaître la rationalité de sa réponse et la légitimité de sa position. Ce changement de perception a été le résultat d’une stratégie méticuleusement conçue – conçue personnellement par le Guide suprême de la République islamique.
L’échec du projet narratif imposé par le régime sioniste
De l’autre côté, le régime sioniste a cherché à imposer à l’opinion publique un récit concurrent : présenter l’Iran comme l’initiateur de la crise, encadrer sa propre réponse comme défensive, et se présenter comme une puissance stable et dissuasive. Cependant, ce projet narratif s’est heurté à des obstacles dès le départ.
Les discours et déclarations de l’Ayatollah Khamenei ont rapidement été relayés par les médias officiels, les réseaux alignés et même certaines plateformes internationales, empêchant la version construite par le régime sioniste de s’imposer.
Le récit alternatif : Résilience nationale et punition de l’agresseur
L’un des aspects les plus marquants de la stratégie narrative employée par le Guide suprême de la Révolution islamique d’Iran durant cette crise fut sa concentration simultanée sur deux concepts fondamentaux : la « résilience nationale » et la « punition de l’agresseur ». D’un côté, un message de force et d’unité nationale a été transmis à la communauté internationale, démontrant que l’Iran restait ferme et uni face aux menaces. De l’autre, sur le plan international, il a été souligné que la réponse de l’Iran à l’agression israélienne était non seulement légale et légitime, mais également proportionnée aux attaques subies et conforme à la défense de sa souveraineté nationale. Cette approche à plusieurs niveaux a permis à l’Iran de maintenir la stabilité intérieure tout en renforçant la présentation du régime sioniste comme l’instigateur et la source des tensions régionales, et tout en empêchant ainsi tout consensus mondial à son encontre
De plus, dans sa troisième allocution télévisée après l’attaque du régime sioniste, l’Imam Khamenei a évoqué l’unité du peuple iranien et son soutien fort aux Forces armées du pays, en adressant un message clair au monde : « Nos Forces armées sont pleinement prêtes, et les responsables du pays, ainsi que l’ensemble de la population, les soutiennent. »
Cette réalité a non seulement invalidé le récit promu par les responsables sionistes – qui cherchaient à présenter le peuple iranien comme détaché du gouvernement et frustré par la résistance – mais elle a aussi servi d’affirmation puissante de l’unité nationale. Le « soutien du peuple », comme souligné par le Guide suprême depuis le contexte de la guerre, a rempli deux fonctions essentielles : d’abord, offrir un appui politique et social fort aux décisions militaires ; ensuite, face à l’offensive médiatique israélienne, constituer un levier dans la guerre des récits et affaiblir leurs efforts de propagande.
Affirmer une position de principe et alerter sur la guerre des récits
Dans son discours récent lors d’une réunion avec le chef et les responsables du pouvoir judiciaire, le Guide suprême de la République islamique d’Iran a réaffirmé sans équivoque la position de principe du pays et a mis en cause les tentatives adverses de déformer la réalité. Il a déclaré : « Nous n’avons pas accueilli la guerre. Que cela soit clair pour tous… Nous ne cherchions pas la guerre, mais lorsque l’ennemi a attaqué, notre réponse a été écrasante… C’est un fait indéniable que l’ennemi tente de mettre en doute. »
Cette position claire renforce une nouvelle fois la posture défensive de l’Iran, tout en discréditant le faux récit ennemi qui présente l’Iran comme l’initiateur de la guerre. Elle révèle également l’essence de la guerre des récits en cours sur le terrain de l’opinion publique mondiale.
Conclusion
Bien que la récente guerre imposée à l’Iran ait débuté par des missiles et des drones, son résultat final a été déterminé dans le champ des récits. Sur ce terrain, aux côtés de son leadership opérationnel, le Guide suprême de la Révolution islamique a su projeter une image différente de l’Iran dans l’opinion publique mondiale grâce à un positionnement habile, des déclarations cohérentes et opportunes, et une communication stratégique. Celles-ci ont illustré non seulement la puissance militaire, mais aussi la légitimité morale et l’autorité rationnelle. En d’autres termes, l’Imam Khamenei fut à la fois le commandant sur le champ de bataille et l’architecte du sens [des récits] dans cette guerre.