Interviewer : En tant que haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, comment expliquez-vous la position définitive de la République islamique, sur la question des sanctions et du JCPOA, aux chefs des missions et aux fonctionnaires en charge des affaires étrangères dans d'autres pays ?

 

Dr Araghchi : Le JCPOA comporte deux parties : l’une concerne les actions nucléaires de l’Iran qui ont un calendrier précis et l’autre les sanctions contre l’Iran que l’autre partie aurait dû lever. Naturellement, si chacune de ces pièces est manquante, le JCPOA perd sa fonction. Lorsque nous parlons de la levée des sanctions, nous entendons toutes les sanctions prévues dans le JCPOA, celles imposées après le retrait des États-Unis de l'accord et celles imposées récemment sous de nouveaux noms. Notre position tout à fait rationnelle. Ce que nous faisons actuellement - réduire nos engagements - est une réponse aux mesures prises par les États-Unis.

Interviewer : Dans vos propos, vous avez évoqué « de nouvelles sanctions avec de nouveaux noms » qui ont été imposées à la nation iranienne. Quelles sont ces sanctions ? Quelles sont les sanctions nucléaires et les sanctions imposées après le retrait des États-Unis de l'accord nucléaire ? Le Guide suprême de la Révolution a mentionné que si les Américains souhaitent revenir au JCPOA sans lever les sanctions, cela pourrait même nous être préjudiciable. Veuillez nous expliquer également cette question.

Dr Araghchi : Si l'accord sur le nucléaire n'est pas censé lever les sanctions, alors cela n'a aucune valeur pour nous que les États-Unis y reviennent ou non. Naturellement, si les États-Unis veulent faire à nouveau partie du JCPOA, leur adhésion devrait être suivie de tous leurs engagements. En d'autres termes, leur adhésion ne devient significative que lorsqu'ils respectent leurs engagements en tant que membre de l'accord. Si les États-Unis doivent revenir sans honorer leurs engagements, à notre avis, ils ne sont pas revenus et leur adhésion n'a pas été accomplie. La levée des sanctions comprend toutes les sanctions prévues principalement dans le JCPOA - ce sont les États-Unis qui auraient dû les lever - deuxièmement les sanctions imposées après le retrait des États-Unis de l'accord et troisièmement, les sanctions dont ils ont tenté de changer les noms et leur donner de nouvelles formes avec des subterfuges juridiques.

Interviewer : pendant une période donnée après l'accord sur le nucléaire, les États-Unis ont temporairement levé les sanctions, mais plus tard, ils ont violé leurs engagements et les ont même augmentés à plusieurs reprises. Si nous voulons vérifier la levée des sanctions, quelles mesures pouvons-nous adopter ?

Dr Arrachi : Pour la vérification, l'effet de la levée des sanctions doit être observé dans la pratique. Ce qui est important pour nous, c’est l’effet de la levée des sanctions, et pas seulement le simple fait de les lever. Le fait de les lever pourrait se faire par une signature sur un morceau de papier, mais les effets se produisent sur le terrain. Il n'est pas important pour nous de savoir si les États-Unis signent les documents permettant à l'Iran de vendre du pétrole, ou s'ils lèvent leurs propres sanctions sur le pétrole iranien, mais ce qui est important pour nous, c'est que notre pétrole soit vendu et les problèmes liés au transport, aux assurances et toutes les questions connexes soient résolues. En d'autres termes, ce qui est important pour nous, c'est que notre pétrole parvienne aux acheteurs et que nous recevions l'argent via le système bancaire. C'est l'effet de la levée des sanctions et cela devrait se manifester dans la pratique.

Les effets de la levée de certaines sanctions peuvent être observés immédiatement. Par exemple, les transactions bancaires peuvent être effectuées rapidement. Si cela se produit, il devient vite clair que les sanctions ont été levées. Cependant, certaines sanctions prennent plus de temps pour se manifester. Par exemple, si les sanctions sur les investissements étrangers en Iran sont levées, les effets ne deviennent tangibles que lorsqu'une entreprise étrangère intéressée à investir en Iran puisse y commencer son travail. Normalement, les entreprises mènent des études sur l'investissement et elles doivent étudier pendant quelques mois afin de trouver un partenaire iranien, de parvenir à un accord et de signer un contrat. Après cela, ils transféreront leur investissement en Iran.

Interviewer : Vous avez souligné que ce qui se passe dans la pratique est important pour l'Iran, mais les Américains ont violé le corps et l'âme du JCPOA même sous l'administration Obama. Autrement dit, bien qu’ils aient adopté des mesures temporaires et formelles, même à cette époque, ils essayaient de perturber l’investissement des entreprises étrangères en Iran et d’effrayer les entreprises européennes. Quelle est votre opinion à cet égard ?

Dr Araghchi : Les Américains sont devenus accros à l'imposition de sanctions. Les sanctions sont devenues leur principale arme dans les interactions internationales. Et elles ne sont pas seulement imposées contre l'Iran, mais contre tout le monde. C'est un outil entre les mains de la politique étrangère américaine pour atteindre ses objectifs. Lors du JCPOA, les Américains ont accepté de lever de nombreuses sanctions. Cependant, dans la pratique, ils ont créé des obstacles afin de diminuer les avantages que l'accord avait pour l'Iran. Cela s'est produit même à l'époque de l'administration Obama. Par exemple, ils ont déclaré que ceux qui souhaitent se rendre en Iran devraient avoir un visa. Un certain nombre de pays ont un accord avec les États-Unis par lequel leurs citoyens peuvent voyager sans visa pendant 90 jours. Cependant, le Congrès américain a adopté une loi stipulant que si quelqu'un a voyagé en Iran, il ne peut pas bénéficier de cet avantage et doit demander un visa pour pouvoir se déplacer ensuite aux États-Unis. Il ne s’agissait apparemment pas d’imposer des sanctions à l’Iran, mais en fait, c’était une tentative pour effrayer ceux qui souhaitaient venir en Iran pour une coopération économique et financière. Les gens avaient peur de ne pas obtenir de visa américain s'ils se rendaient en Iran. C'étaient des obstacles et des sanctions secrètes qui étaient en opposition avec l'âme du JCOPA.

 

Interviewer : Récemment, le Majlis et l’administration ont adopté certaines mesures pour réduire certains des engagements de la République islamique pris dans le cadre du JCPOA. De plus, l'une des questions que le Guide suprême de la Révolution islamique a soulignées était « l’engagement contre l’engagement » et les actions en réponse aux actions. À votre avis, comment ces mesures peuvent-elles aider nos intérêts nationaux ?

Dr Araghchi : La réduction des engagements est synonyme d'intérêts nationaux. Nos intérêts nationaux nous ont dicté d'aller de l'avant sur cette voie. Lorsque les États-Unis se sont retirés du JCPOA et ont rétabli leurs sanctions, nous avons attendu une autre année pour certaines raisons et nous avons donné aux autres membres du JCPOA l'occasion d'honorer leurs promesses afin de compenser l'absence des États-Unis dans le JCPOA, mais ils n'ont pas réussi à mettre en œuvre les solutions promises. Par conséquent, nos intérêts nationaux nous ont dicté de réduire nos engagements face au rétablissement des sanctions. Pour nous, la garantie de l'exécution du JCOPOA est que nous mettons de côté nos engagements chaque fois que nous sentons que l'autre partie déshonore les siens.

Le JCPOA nous donne la possibilité de réduire nos engagements en une seule fois ou un par un. Nous avons donc choisi l'option et décidé de réduire nos engagements par étapes. Nous l'avons fait en cinq phases - mis à part la question de la supervision. En d'autres termes, dans les domaines exécutifs, nous avons annulé tous nos engagements en matière d'enrichissement et autres questions similaires et seule nos engagements en matière de supervision dans le cadre du JCPOA restent valable. Pour cette partie aussi, selon le projet de loi ratifié par le Majlis, si nos exigences légales ne sont pas satisfaites, nos réductions d’engagements affecteront cette partie aussi. À mon avis, les mesures adoptées ont été tout à fait conformes aux intérêts nationaux et il était absolument essentiel d’aller de l’avant.

Interviewer : Par le retour des États-Unis, voulez-vous dire leur retour au JCPOA ainsi que la levée des sanctions ?

 

Dr Araghchi : Notez que lorsque nous parlons du retour américain, cela signifie un retour au respect des engagements spécifiés dans le JCPOA. Le retour des États-Unis sans lever les sanctions n'a aucun sens. Certains pensent que nous sommes après le retour des États-Unis à l'accord sans la levée des sanctions. Il est impossible d'imaginer cela. Le retour des États-Unis ne devient significatif qu'après que ce pays ait honoré ses engagements dans le cadre du JCPOA - les engagements concernant la levée des sanctions que les États-Unis devraient honorer.

 

Interviewer : En raison de l’histoire des violations commises par les Américains et du non-respect par les Européens de leurs engagements, la République islamique et le peuple ont subi une perte. Au fond, quel est le plan du ministère des Affaires étrangères pour exiger des compensations ?

Dr Araghchi : La question des compensations deviendra une question sérieuse dans les négociations futures. C’est d’abord le Ministère des affaires étrangères qui a élaboré un plan à cet égard et l’a envoyé aux hauts fonctionnaires du pays. Le Guide suprême de la Révolution islamique a également évoqué cette question dans ses déclarations, affirmant que la question des compensations sera une question sérieuse dans nos négociations futures. Ce n'est pas un problème mineur car nous avons subi d'énormes pertes économiques en raison du retrait des États-Unis du JCPOA. Nous avons payé cher à cause de la politique de pression maximale et nous l'avons finalement vaincue, mais nous devrions quand même recevoir des compensations pour les coûts que nous avons payés. Bien entendu, ce n’est pas une condition préalable à la levée des sanctions.

Interviewer : Un autre point soulevés dans vos déclarations est que notre politique principale devrait être de neutraliser l'effet des sanctions. Le Guide suprême de la Révolution islamique a réitéré que cette politique est prioritaire sur la question de la levée des sanctions car la naturalisation de ces effets est entre nos propres mains, mais la levée ne l’est pas et revient aux autres. À votre avis, que devons-nous faire pour prioriser cette politique ?

Dr Araghchi : Nous, au ministère des Affaires étrangères, avons la responsabilité de poursuivre la politique de la levée des sanctions, mais comme Son Eminence l'a mentionné à maintes reprises, notre économie devrait atteindre un point où elle résiste à toute pression étrangère. Elle devrait être comme un corps fort qui résiste et ne s’épuise pas, quel que soit le taux de pressions extérieures qu'il reçoit. Nous devrions avoir une économie qui résiste aux pressions étrangères, y compris les sanctions et les crises monétaires internationales. À mon avis, neutraliser l'effet des sanctions est possible de deux manières. Bien entendu, ce n'est pas seulement la responsabilité du ministère des Affaires étrangères, c'est plutôt la responsabilité de tout le gouvernement. La première consiste à tirer parti des capacités nationales et à les renforcer. Permettez-moi de citer un exemple à cet égard : nous avons un projet avec l’Iraq grâce auquel nous fournissons l’électricité de ce pays. Lorsque les sanctions américaines ont été mises en place, ils ont réalisé qu’ils ne pouvaient pas l’empêcher et ont par conséquent exclu les exportations d’électricité de l’Iran vers l’Irak de leurs sanctions. Un autre exemple est le port de Chabahar. En raison de l’investissement des Indiens, les Américains ont dû exclure le projet Chabahar de leurs sanctions. Nous devrions profiter de nos avantages en matière de transport, d'énergie et de géographie et établir des liens économiques solides dans la région.

Interviewer : Au cours des années où vous étiez présent aux plus hauts niveaux de la diplomatie et des négociations, vous avez naturellement eu certaines rencontres et interactions avec le Guide suprême de la Révolution islamique. Si vous avez des souvenirs de ses recommandations sur les négociations et les interactions avec le monde, voudriez-vous les partager avec nous.

Dr Araghchi : Mon souvenir le plus doux et le plus important est le soutien que le Guide suprême nous a offert au cours des négociations. Il n'a jamais été optimiste quant aux négociations et aux intentions des autres parties. Du premier au dernier jour, il a déclaré qu'il n'était pas optimiste. Bien sûr, il est devenu clair plus tard qu'il avait raison et cela dans toutes les questions. Par conséquent, sur la base de la ligne directrice du Guide suprême de la Révolution, nous avons négocié avec pessimisme. Son Eminence nous a toujours conseillé de négocier avec pessimisme et ne pas faire confiance à l'autre côté.