Hakimeh Saghaye-Biria
Professeur adjoint à l'Université de Téhéran.
« Les États-Unis sont contre un Iran fort. Les États-Unis sont contre un Iran indépendant. » Tels sont les propos du Guide suprême de la Révolution islamique, l'Imam Khamenei, prononcé le 3 octobre 2022, lors de la cérémonie conjointe de remise des diplômes aux cadets-officiers des académies militaires des forces armées de la République islamique d'Iran.
La question est de savoir quelles preuves nous conduisent à une telle évaluation de la guerre hybride américaine actuellement orchestrée à l'échelle mondiale contre l'Iran. Aussi, quelle est la relation entre un Iran fort et un Iran indépendant ? Pour répondre à ces questions, il faut d'abord s'interroger sur le sens de l'indépendance pour la Révolution islamique, puis étudier l'approche des États-Unis vis-à-vis des nations indépendantes.
Un Iran fort et indépendant
Compte tenu de la situation en Iran dans les années entre le coup d'État du 28 août 1953 et février 1979, l'une des réalisations les plus importantes de la Révolution islamique a été le démantèlement d'une relation client-patron avec les États-Unis. Ce qui s'est passé dans la Révolution islamique n'était pas simplement le renversement d'une monarchie autoritaire, mais le renversement d'un client autoritaire des États-Unis. Le mouvement de l'imam Khomeiny est devenu une source d'inspiration pour tous les musulmans du monde entier. L'Imam Khomeiny dans un message a transmis ce point aux musulmans du monde :
« Musulmans du monde entier ! Puisque vous vivez une mort progressive sous la domination d'étrangers, vous devez surmonter la peur de la mort et profiter de la présence de jeunes passionnés et en quête de martyre prêts à briser les lignes du front de mécréance. Ne vous souciez pas du maintien du statu quo ; Pensez plutôt à sortir de la captivité, à la libération de l'esclavage et à attaquer les ennemis de l'Islam ; sachez que la dignité et la vie à l'ombre de la lutte dépendent de la volonté puis de la décision d'interdire la souveraineté de la mécréance et du polythéisme, en particulier celle des États-Unis. » [1]
En tant que tel, l'un des grands principes de la Révolution islamique d'Iran est l'indépendance. L'article 152 de la Constitution précise comme suit : « La politique étrangère de la République Islamique d'Iran est fondée sur le refus de toute forme de domination exercée ou acceptée, sur la protection de l'indépendance à tous points de vue et de l'intégrité territoriale du pays, sur la défense des droits de tous les musulmans et sur le non-alignement face aux puissances hégémoniques et sur les relations pacifiques réciproques avec les Etats non belliqueux ».
Dans ce contexte, l'indépendance est considérée comme un processus à plusieurs niveaux, et non comme un produit. [2] Sur le premier niveau, l'accession à l'indépendance implique la décolonisation de l'esprit de telle manière qu'une nation non seulement aspire à être vraiment souveraine, mais qu'elle considère la dépendance à l'égard des puissances extérieures comme contraire au Tawhid (la croyance au monothéisme). Ainsi, l'indépendance n'est pas considérée comme une option ; c'est une obligation. Au deuxième niveau, l'accession à l'indépendance implique une véritable tentative d'émancipation nationale ; c'est-à-dire, viser l'objectif d'un Iran fort. À titre d'exemple, la capacité nucléaire pacifique est prise en considération dans le contexte du progrès scientifique et de l'indépendance technologique. L'autonomisation économique, politique, culturelle et militaire est également considérée dans le contexte de l'indépendance. Au troisième et dernier niveau, l'accession à l'indépendance implique la gestion des relations extérieures de manière à réaliser un front mondial unifié entre les nations orientées vers l'indépendance contre les puissances mondiales dominatrices. Ainsi, la constitution d'une coalition se produirait avec un objectif général à l’esprit ; c'est-à-dire la création d'un « front de résistance ».
Dans cette formation de coalition, deux objectifs sont impliqués : 1) construire une coalition dans la région pour résister à la présence et à l'ingérence des États-Unis dans les affaires de l'Asie de l’ouest et 2) construire une coalition mondiale pour résister à l'hégémonie mondiale des États-Unis. La réalisation du premier objectif a été placée sous la responsabilité de la Force Quds du Corps des Gardiens de la Révolution islamique. Dans les décennies qui ont suivi la guerre Irak-Iran, la Force Quds a réussi à étendre l'influence de l'Iran dans la région vers la réalisation d'un front de résistance actif. Aller vers le deuxième objectif ; c'est-à-dire la construction d'un front de résistance mondial relève de la responsabilité de l'exécutif, y compris du ministère des Affaires étrangères.
Le rôle de la République islamique, en tant que leader du front de résistance, dans l'échec des projets militaires américains dans la région est l'une des principales raisons de la guerre hybride américaine contre la République islamique. La raison de la haine profonde des dirigeants du régime américain et sioniste envers le général martyr Qassem Soleimani devrait également être recherchée dans son rôle qu’il a joué dans l'échec des États-Unis dans la région de l'Asie de l’ouest. En conséquence, la réputation des États-Unis dans le monde a été gravement endommagée et sa capacité à créer un ordre américain basé sur le pouvoir militaire et politique a été remise en question.
Les États-Unis : un empire d'États clients
Pour comprendre pourquoi les États-Unis pensent à mener une guerre hybride contre l'Iran en raison de son indépendance, on pourrait regarder l'histoire des relations étrangères américaines au cours du siècle dernier. C'est exactement ce que David Sylvan et Stephen Majeski ont fait dans leur livre de 2009 intitulé U.S. Foreign Policy in Perspective, Clients, enemies and empire (La Politique étrangère américaine en perspective : clients, ennemis et empire) [3] Selon Sylvan et Majeski, la politique étrangère américaine depuis au moins cent ans s'est centrée sur la création d'un réseau d'États clients qui se traduit par un type particulier de domination ou ce qu'ils appellent « un empire d'États clients », une forme d'impérialisme proprement américaine (14). Dans ce contexte, un État client est défini comme un pays qui permet aux États-Unis d'exercer une surveillance et un contrôle complets sur ses affaires intérieures et qui travaille à la réalisation des intérêts américains dans sa politique étrangère. L'Iran, sous le Chah après le coup d'État de 1953 soutenu par les États-Unis, était l'un des clients américains les plus importants dans la région de l'Asie de l’ouest, tout comme l'est aujourd'hui l'Arabie saoudite.
Selon les conclusions de Sylvan et Majeski, l'histoire des relations étrangères américaines montre également que les États-Unis commencent à développer des relations hostiles en réponse au retrait d'un État client fantoche de cette relation. « Pour les responsables américains, un ennemi est un non-client dont le régime est perçu comme choisissant systématiquement de différer des États-Unis sur des questions clés de politique étrangère, intérieure, économique et politique » (45). Dans ce contexte, la République islamique d'Iran est considérée comme un ennemi par les États-Unis en raison de son indépendance systématique vis-à-vis des États-Unis.
Les États-Unis ont recours à des « activités systématiquement hostiles » contre les ennemis, notamment : refus de la reconnaissance diplomatique, sanctions économiques, opposition aux prêts multilatéraux, blocage de la circulation des citoyens du pays ennemi, octroi de l'asile aux immigrants du pays ennemi, soutien aux dirigeants de l'opposition, incitation à la propagande et aux opérations psychologiques secrètes, et accuser le pays ennemi de violer les normes fondamentales (telles que les droits de l'homme) (Sylvan et Majeski,179).
Parfois, les États-Unis utilisent des outils d'engagement tels que les négociations pour gérer les pays ennemis. Ce qui est important, c'est que « seuls des accords temporaires sont possibles avec eux, et les relations routinières impliquent une part importante de méfiance et peut-être d'obsession » (Sylvan et Majeski, 177). Cela signifie que dans de nombreux cas, lorsque Washington est entré en interaction avec le République islamique, cela a été fait avec une vision purement instrumentale et dans le sens de la gestion d'un État ennemi, et non comme une interaction basée sur le respect mutuel. « Si l'ennemi négocie un accord avec les États-Unis sur une question spécifique de désaccord, cela est généralement considérée à Washington comme un signe que sa politique porte ses fruits et donc comme une raison de poursuivre ou même d'intensifier la plupart des formes de pression, à l'exception des points sur lesquels un accord a été trouvé » (Sylvan et Majeski 180).
Alors que les activités habituellement hostiles mentionnées ci-dessus sont la façon habituelle dont les États-Unis tentent de déstabiliser les États ennemis, lorsque la situation le justifie, les États-Unis utilisent des outils militaires hostiles, notamment des coups d'État, des tentatives de restreindre le transfert d'armes et de technologie militaire, l'aide aux forces d'opposition armée, guerre militaire à grande échelle, attaques soutenues et asymétriques, opérations de combat aux côtés des forces insurgées locales, assassinats et éventuellement occupation militaire. C'est ce que Sylvan et Majesky appellent des « interventions hostiles » (180).
Une autre caractéristique importante de l'empire américain des États clients est le rôle que les anciennes puissances coloniales telles que la Grande-Bretagne et la France jouent dans le système. Alors que ces pouvoirs dominent désormais un réseau de clients qui leur est propre, ces réseaux sont généralement hiérarchiquement inférieurs à l'empire des clients américains, et en ce sens, ils peuvent également être considérés au sein du système client américain.
Dans ce contexte, on pourrait déduire que les États-Unis sont en guerre contre l'Iran depuis la Révolution islamique de 1979. Cela a pris différentes formes : la guerre militaire en incitant Saddam Hussein à attaquer l'Iran et en le soutenant tout au long de la guerre Irak-Iran de huit ans et la guerre par d'autres moyens, y compris la guerre économique. En plus de 40 ans de guerre, une chose qui est restée constante est l'utilisation de la propagande. La décision de lancer des opérations de changement de régime contre la République islamique a été prise dès le 20 décembre 1979. Selon un document déclassifié, l'ancien président Carter a publié une décision présidentielle le 20 décembre 1979, ordonnant à la CIA de travailler à renverser la République islamique., auquel cas le premier outil mentionné était de « faire de la propagande ». [4]
Pourquoi la propagande est-elle si importante ? Premièrement, l'Iran venait de vivre une révolution sociale sans précédent. Ainsi, l'obstacle le plus important face au changement de régime était le peuple iranien. Deuxièmement, comme le montrent les recherches de Sylvan et Majeski, les États-Unis doivent attaquer la légitimité mondiale d'un pays auquel ils s'opposent pour pouvoir mener des activités manifestes visant à créer de l'instabilité et à œuvrer pour un changement de régime (Sylvan et Majeski, 235). Dans la guerre de propagande, les États-Unis utilisent tous les moyens disponibles à leur disposition au sein de leur système client.
Comprendre le système client américain est essentiel pour comprendre l'orchestration actuelle de la guerre hybride anti-iranienne. Sur la base d'études universitaires qui examinent l'histoire des relations extérieures des États-Unis au cours du siècle dernier, les États-Unis considèrent les pays qui sont systématiquement indépendants dans leurs politiques intérieures et étrangères comme des ennemis. La définition spécifique de l'indépendance dans la Révolution islamique - qui considère le concept comme un processus à trois niveaux consistant en l'indépendance d'esprit (c'est-à-dire, lier l'indépendance au Tawhid ), l'indépendance en tant qu'autonomisation interne et l'indépendance internationale en tant que construction d'une coalition basée sur la résistance -, fait de l’Iran une cible spécifique de l'animosité américaine. À court terme, les États-Unis utilisent tous les moyens disponibles pour créer l'instabilité dans le pays ennemi. L'objectif à long terme est le changement de régime. Pour résumer l'argument, « les États-Unis sont contre un Iran fort. Les États-Unis sont contre un Iran indépendant ».
Hakimeh Saghaye-Biria est professeur adjoint à l'Université de Téhéran, Faculté des sciences et pensées islamiques. Elle est titulaire d'un doctorat en études américaines de l'Université de Téhéran, d'une maîtrise en communication de masse de la Louisiana State University et d'un baccalauréat ès arts en communication de l'Université de Houston.
*** Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de Khamenei.ir.
[1] Khomeiny, Ruhollah. Sahifeh-ye Imam . vol. 21, pp. 74-100.
[2] Nabawi, Sayid Muteza et Seleh Eskandari. Abdol Hossein Khosrow Pana (2016), éditeur. L’indépendance islamique dans le système de pensée de l'Imam Khomeiny. Institut de recherche sur la culture et la pensée islamiques.
[3] Sylvan, D. et Majeski, S. (2009). U.S. Foreign Policy in Perspective, Clients, enemies and empire (La Politique étrangère américaine en perspective : clients, ennemis et empire). Londres : Routledge.
[4] “Foreign Relations of the United States, 1977–1980, Volume XI, Part 1, Iran: Hostage Crisis, November 1979–September 1980 - Office of the Historian.” Foreign Relations of the United States, 1977–1980, Volume XI, Part 1, Iran: Hostage Crisis, November 1979–September 1980 - Office of the Historian, 27 Dec. 1979, history.state.gov/historicaldocuments/frus1977-80v11p1/d110.
Source : https://english.khamenei.ir/news/9245/The-US-empire-of-client-states-against-a-strong-independent