Les empreintes de l'influence occidentale sur la culture, les idéaux de beauté et l'environnement professionnel des femmes d'Asie de l'Est sont clairement visibles - une influence qui a souvent agi à l'encontre des femmes mêmes qu'elle prétend soutenir. Cet article, à travers un prisme critique, examine comment les politiques et valeurs importées de l’Occident sont devenues des outils d’exploitation et d’humiliation, plutôt que d’émancipation, pour les femmes en Asie de l’Est.
En janvier 2025, un hashtag est devenu viral sur les réseaux sociaux japonais, traduisible en français par « la vraie raison pour laquelle j’ai quitté mon travail ». Sous ce hashtag, des femmes japonaises ont raconté leurs histoires de harcèlement sexuel au travail, tentant d'encourager d'autres à révéler ce qu’elles avaient vécu. Ce n'est pas la première fois qu’un mouvement de type MeToo commence en Asie de l’Est, et les discussions autour de ces événements manquent souvent une certaine cause derrière ces situations ; une cause si omniprésente que les observateurs échouent souvent à la remarquer : comment l’intervention occidentale dans les cadres culturels et économiques de l’Asie de l’Est a empiré la vie des femmes dans ces régions.
L'influence des importations occidentales sur les femmes chinoises : de la mode à l'objectification
C’est au milieu du XIXe siècle [1] qu’une vague d’influence occidentale a déferlé sur la Chine à la suite de l’ouverture des ports par les traités. L'importation de produits occidentaux, y compris la mode et les cosmétiques, a conduit à l'adoption de styles vestimentaires et de produits de beauté occidentaux. [2] Les femmes chinoises ont découvert les talons hauts, les coupes de cheveux courtes et les cosmétiques occidentaux. Cela fut confronté par des mouvements anticonsuméristes et anti-étrangers comme le Mouvement de la Nouvelle Vie.
D’un côté, le désir de peau blanche peut être observé tout au long de l’histoire de la Chine. De l’autre, les entreprises cosmétiques occidentales entrant en Chine ont capitalisé sur cet idéal en proposant les produits y afférents. Les magazines de beauté et de mode occidentaux ont étudié les différences culturelles en matière d’idéaux de beauté et adapté leurs produits en conséquence. Bien que cela ait pu aider les femmes à atteindre un idéal désiré en leur offrant une étape tangible, cela a également aggravé la discrimination sociale fondée sur la couleur de peau et renforcé la blancheur comme norme de beauté. [3] De plus, une publicité excessive a conduit à une concurrence accrue sur la beauté et à un recentrage de l’attention féminine asiatique sur l’apparence - en d’autres termes, l’objectification des femmes a été inconsciemment encouragée dans la société. Ainsi, cette dépendance à l’apparence s’est infiltrée dans le domaine professionnel où les femmes ont commencé à utiliser leur apparence pour accroître leurs chances de trouver un emploi sur un marché compétitif ou pour progresser dans leur carrière. En conséquence, l’attention portée aux femmes dans la sphère sociale, que ce soit dans l’emploi ou le statut social, s’est de plus en plus concentrée sur leur apparence plutôt que sur leur valeur réelle. Sur le lieu de travail, les femmes ont été implicitement jugées sur leur apparence au lieu de la valeur intellectuelle qu’elles pouvaient apporter, et à la fois les femmes concernées et les autres ont été victimes de ce changement de focalisation.
L’impact de l’industrialisation occidentale sur les femmes japonaises durant la période Meiji
Les standards de beauté traditionnels en Asie de l’Est étaient profondément enracinés dans la culture. Au Japon, par exemple, le concept de « bihaku » [4], qui se traduit littéralement par « beau blanc », mettait l’accent sur une peau naturelle et lumineuse. Cependant, une fois qu’un standard de beauté étranger s’impose, la beauté traditionnelle est progressivement remplacée par ce qui s’éloigne de la norme culturelle. Cela accentue l’écart entre les traits naturels et l’idéal, entraînant une baisse de la satisfaction personnelle et de l’estime de soi chez les femmes.
L’une des chirurgies esthétiques les plus courantes en Asie de l’Est est la procédure de la paupière double, réalisée pour la première fois par le docteur japonais Mikamo [5]. Le commodore américain Matthew Perry est arrivé à la fin du XIXe siècle, marquant la fin de la longue période d’isolement du Japon. Cela a forcé le Japon à ouvrir ses frontières au commerce et à l’influence occidentale, entraînant une période d'occidentalisation rapide connue sous le nom de Restauration Meiji. Formé à la médecine occidentale, Mikamo a pratiqué sa première chirurgie des paupières doubles durant cette période. Son travail reflétait les idéaux esthétiques occidentaux ; cependant, il visait aussi à s’aligner sur les standards de beauté japonais, s’adaptant ainsi à un paysage culturel en mutation.
Bien que la période Meiji soit définie comme une époque de grandes transformations, les effets qu’elle a eus sur les femmes japonaises [6] ne sont pas mis en avant dans le discours intellectuel. L’industrialisation rapide nécessitait une large main-d’œuvre, souvent issue de jeunes femmes pauvres des zones rurales. Ces femmes ont été recrutées par le biais d’incitations financières et de propagande gouvernementale. Leurs conditions de travail étaient dures : longues heures, bas salaires, dortoirs appartenant à l’entreprise avec des conditions précaires, et des risques pour la santé comme la tuberculose. De plus, le travail en usine impliquait une supervision stricte et des punitions physiques. Certaines s’échappaient ou se suicidaient, tandis que d’autres initiaient des mouvements ouvriers, souvent réprimés par un gouvernement qui privilégiait le progrès industriel aux droits des travailleurs.
Une autre conséquence néfaste fut la montée du travail sexuel. [7] La nécessité économique et la perturbation des économies rurales ont poussé de nombreuses femmes pauvres à migrer à l’étranger pour travailler comme prostituées. Elles étaient souvent exploitées par des recruteurs qui facilitaient leur migration à des fins lucratives. Les réformes foncières du gouvernement et les politiques d’industrialisation ont donc poussé les femmes dans la main-d’œuvre mondiale, où le travail sexuel est devenu un moyen de survie.
Le coût de la "liberté" : l’exploitation des femmes coréennes et l’échec des cadres occidentaux
Les États-Unis ont présenté leur présence sur le sol coréen pendant la guerre comme une lutte contre le communisme pour apporter la liberté à la Corée du Sud. Cependant, cette prétendue « liberté » a eu un coût dévastateur pour de nombreuses femmes coréennes qui sont devenues victimes de violences sexuelles perpétrées par des soldats américains. [8] L’établissement de bases militaires américaines a créé un environnement où les femmes ont souvent été contraintes de se prostituer pour survivre. La soi-disant liberté fut en réalité une transition d’une forme potentielle de dépendance au communisme vers une autre, concrète, à l’égard des États-Unis. À ce jour, l’armée sud-coréenne reste sous contrôle américain en temps de guerre, ce qui soulève des questions sur l’indépendance réelle.
Les femmes sud-coréennes font face à des défis majeurs, notamment les écarts de salaires, la discrimination, les violences domestiques et les crimes sexuels numériques, qui ont alimenté l’activisme pour les droits des femmes. Pour ces raisons, le mouvement féministe joue un rôle majeur dans la société coréenne. Cependant, la vraie question est : s’attaque-t-il aux causes profondes de ces problèmes, ou se concentre-t-il plutôt sur des solutions superficielles ? Par exemple, bien que des campagnes comme le mouvement #MeToo [9], initié aux États-Unis et plus tard adopté par les femmes sud-coréennes, aient attiré l’attention sur le harcèlement sexuel, elles ne résolvent pas la racine du problème. D’une part, les mouvements féministes en Occident n’ont jamais réellement réussi à s’attaquer aux causes fondamentales de la discrimination et de la violence basées sur le genre ; d’autre part, le modèle féministe occidental adopté par les Sud-Coréennes ne prend pas en compte les différences culturelles, et a même donné lieu à des formes d’extrémisme comme le mouvement 4B. [10] Certaines femmes coréennes ont opté pour des mesures radicales contre la misogynie, favorisant l’animosité envers l’autre sexe plutôt que la compréhension des différences physiques et psychologiques entre les hommes et les femmes, et l’apprentissage de la manière d’y répondre. Il est sans aucun doute essentiel que les hommes et les femmes s’engagent dans la compréhension de ces différences, car la responsabilité de la compréhension mutuelle ne repose pas uniquement sur les femmes. Sinon, le résultat est un élargissement du fossé entre les deux sexes et une aggravation de la « guerre des genres ». Par conséquent, un cadre correct et complet n’a jamais été introduit ou adopté par les femmes coréennes à cet égard, et donc le problème persiste.
En outre, les cadres féministes occidentaux ne correspondent pas pleinement au contexte culturel et social des pays de l’Est. Le féminisme occidental a historiquement été lié à des agendas économiques, [11] tels que l’encouragement des femmes à rejoindre le marché du travail sous prétexte d’émancipation, mais en réalité pour répondre aux besoins en main-d’œuvre pendant la Seconde Guerre mondiale, tout en rémunérant souvent les femmes moins que les hommes. Les femmes doivent, sans aucun doute, être encouragées à participer à toutes les sphères de la société, y compris l’économie, la politique, le monde universitaire, etc. Leur présence est à la fois cruciale et précieuse pour le développement de la société. Cependant, en Corée du Sud, cela s’est traduit par des politiques poussant les femmes sur le marché du travail sans traiter correctement la double charge du travail et des responsabilités domestiques. [12] Par exemple, bien que le gouvernement promeuve l’égalité des sexes dans l’emploi, il n’a pas mis en œuvre de politiques suffisantes pour améliorer l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée ou pour réduire les attentes sociétales [13] selon lesquelles les femmes doivent principalement élever les enfants et s’occuper des tâches ménagères. Plus important encore, l’Occident a importé ses propres valeurs concernant les femmes, plaçant la réussite professionnelle au sommet tout [14] en négligeant d’autres valeurs comme l’importance de devenir parent et d’élever la prochaine génération. Pour cette raison, les femmes peuvent être plus encouragées [15] à gravir les échelons professionnels qu’à élever des enfants avec l’aide de leur conjoint. Il faut souligner que l’éducation des enfants est une responsabilité partagée entre les deux parents et ne repose pas uniquement sur les femmes. Il est également important de veiller à ce que l’encouragement soit équilibré entre la carrière et la famille. Ainsi, cet écart entre les politiques, les valeurs sociétales actuelles et la réalité a conduit à une pression accrue sur les femmes actives, plutôt qu’à leur émancipation. Il n’est pas exagéré d’attribuer ces facteurs, entre autres, au fait que le pays détient le taux de natalité le plus bas au monde [16] et se trouve à un risque extrême d’extinction.
Porte-drapeau de l’égalité des sexes, l’Occident est souvent intervenu dans des sociétés non occidentales sous prétexte d’efforts bien intentionnés pour « libérer » les femmes. Cependant, une analyse plus approfondie permet de voir comment ces efforts sont souvent liés à des agendas géopolitiques et économiques plus vastes. Comme l’a déclaré le Guide suprême de la Révolution islamique, l’Imam Khamenei, à l’occasion de la Journée de la femme en Iran :
« ... Leur véritable objectif est l’ingérence politique et coloniale. Ils interviennent pour préparer le terrain et fournir une couverture pour de nouveaux empiétements, une plus grande ingérence et l’expansion de leur sphère d’influence. Ce motif, qui est en fait un motif criminel et corrompu, se cache derrière un masque philosophique, un masque théorique et une apparence humanitaire… » [17]
En conséquence, les interventions occidentales sous diverses formes ont souvent été arbitraires et nuisibles, dissimulant des agendas d’exploitation sous les apparences de libération et d’émancipation. De l’exploitation sexuelle des femmes coréennes par les soldats américains, à l’adoption de produits occidentaux par les femmes chinoises entraînant leur objectification accrue, en passant par les dures conditions de travail des femmes japonaises pendant la période Meiji, les conséquences de l’influence occidentale ont été dévastatrices. La véritable émancipation ne peut être atteinte par une dépendance et une exploitation imposées par l’Occident.
Références
[1] https://pure.tudelft.nl/ws/portalfiles/portal/55509578/0096144218816548.pdf
[2] https://openjournals.neu.edu/nuwriting/home/article/view/217/167
[3] https://dukespace.lib.duke.edu/items/0c6fd0b9-2abb-48e9-8793-061eb89a445b
[4] https://trepo.tuni.fi/bitstream/handle/10024/120065/YamamotoMitsumi.pdf?sequence=2
[5] https://www.liebertpub.com/doi/10.1001/archfaci.4.3.201
[7] https://apjjf.org/2012/10/35/bill-mihalopoulos/3814/article
[8] https://accesson.kr/rks/assets/pdf/7566/journal-9-2-89.pdf
[9] https://asiasociety.org/korea/metoo-movement-south-korea
[11] https://www.history.com/topics/world-war-ii/rosie-the-riveter
[12] https://thediplomat.com/2014/08/south-koreas-failure-to-support-working-women/
[13] https://www.koreaherald.com/article/10409462
[14] https://www.theguardian.com/commentisfree/2013/oct/14/feminism-capitalist-handmaiden-neoliberal
[15] https://english.hani.co.kr/arti/english_edition/e_national/1161593.html